La pandémie a mis les Canadiens à rude épreuve. 2020 a sans aucun doute été une année éprouvante pour plusieurs et, plus particulièrement, pour ceux et celles ayant des problèmes de dépendances. Selon plusieurs sondages, la consommation de substances a considérablement augmenté alors que la population en isolement devait faire face à des émotions inhabituelles et complexes. En collaboration avec la Fondation CERVO, le psychologue Dr Guillaume Pelletier fait le point sur le phénomène.
Pour comprendre ce phénomène grandissant, il faut d’abord tenter de comprendre le lien entre la pandémie et l’augmentation de l’utilisation des substances licites et illicites (alcool, drogues, médicaments, suppléments, etc). « La pandémie a impacté notre mode de vie d’une façon singulière, et encore davantage pour les personnes plus vulnérables de notre société. D’une part, la menace de la maladie et les bouleversements socioculturels et économiques découlant des mesures préventives a généré un climat d’incertitude et d’insécurité propice à la détresse émotionnelle. D’autre part, la diminution radicale des occupations, des loisirs et des liens sociaux limite grandement l’accès aux stratégies habituelles d’adaptation aux émotions désagréables et à la détresse émotionnelle. Face à ce mélange d’insécurité et d’impuissance particulièrement difficile à reconnaître, à accepter et à tolérer, on peut tout à fait comprendre que certaines personnes en soient venues à augmenter leur utilisation des substances, d’internet, de nourriture, de sexualité pour se distraire ou s’apaiser », affirme Dr Pelletier.
Consommation normale ou dépendance ?
Dans toute sa complexité, rien n’est jamais totalement noir ou blanc avec l’être humain. Sachant cela, on tente généralement de situer l’utilisation de substances d’une personne donnée sur un continuum allant de la consommation à faible risque à la consommation à risque élevé ou problématique. Pour la situer, on s’intéresse aux quantités, aux fréquences et aux modes de consommation. On s’intéresse également aux risques de méfaits sur les plans physiques, psychologiques et sociaux associés aux modes d’utilisation de substances de cette personne en particulier. Pour décrire l’évolution vers la dépendance, Dr Pelletier dresse l’analogie suivante.
« J’aime rappeler que l’emploi du terme dépendance réfère à une relation de dépendance. En tant qu’être humain, on est naturellement conçu pour se lier, s’attacher et dépendre des personnes, des objets et des activités qui nous procurent du plaisir ou du soulagement. Le plaisir et le soulagement sont en fait des indices que nos besoins biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels sont satisfaits ou en voie de l’être. Il est donc naturel de s’attendre à ce qu’une personne cherche à répéter les contacts avec ces personnes, ces objets ou ces activités plaisantes ou apaisantes, à plus forte raison lorsque la détresse est intense et le plaisir absent. Le hic, c’est qu’on s’habitue. On devient tolérant et, comme les effets sont de moins en moins satisfaisants, on cherche à en faire plus, à augmenter le contact avec ces personnes, ces objets ou ces activités. Celles-ci prennent de plus en plus de place dans notre vie, au point où d’autres personnes, objets ou activités importantes commencent à être délaissées. Les risques augmentent, les méfaits s’accumulent et on commence à trouver que notre relation avec cette personne, cet objet ou cette activité est toxique. Or, même si les conséquences sont bien réelles, on n’arrive pas à couper ou à modifier le contact avec cette personne, cet objet ou cette activité. Eh bien, c’est pareil avec les substances, sauf qu’on ajoute un effet directe sur la biochimie du cerveau » confie-t-il.
Faire face à une consommation problématique
Cette année, la semaine de la santé mentale, qui s’est tenue du 3 au 9 mai 2021, a exploré les émotions et comment les êtres humains ont appris à juger, à craindre et à rejeter en soi-même et en l’autre les émotions désagréables et la vulnérabilité. Les identifier et les comprendre contribueraient pourtant à les atténuer et joueraient un rôle important afin de réduire une consommation pouvant devenir problématique. « Il n’existe pas d’émotions négatives. Nous avons tout de même appris à refouler les émotions désagréables, à les éviter, à le nier ou pire, à les exploiter. Pourtant, les émotions jouent un rôle crucial dans l’équilibre biologique, psychologique et social d’une personne et d’une société. Elles nous informent de l’état de notre organisme et nous permet d’en informer les autres, de s’engager, de se mobiliser et d’agir en faveur de notre équilibre biologique, psychologique et social. Lorsqu’une personne consomme des substances, c’est en quelque sorte une façon de taire ces émotions. Une manière de rétablir rapidement un sentiment de sécurité et de récupérer du pouvoir d’agir. De s’éloigner de l’insécurité et de l’impuissance. de l’impression d’être vulnérable et d’avoir besoin. Ainsi, la première étape pour faire face à un problème de consommation est d’observer son utilisation de substance mais surtout d’observer e ce qui se passe à l’intérieur lorsque l’envie de consommer est absente, lorsqu’elle se présente et lorsqu’on est sous l’effet d’une substance. De s’intéresser à cette expérience avec curiosité et bienveillance, comme on s’intéresserait à celle de notre meilleur ami, de notre partenaire de vie ou de notre enfant. Ensuite, de réfléchir à la possibilité de changer quelque chose, d’expérimenter le changement en faisant de petits choix : réduire la fréquence ou les quantités, éviter la consommation dans certains contextes ou réduire l’accessibilité aux substances. Le soutien social, les occupations et la méditation représentent des alternatives à l’utilisation des substances. Néanmoins, il ne faut jamais hésiter à solliciter l’accompagnement d’un professionnel dans ses réflexions ou dans ses efforts ou modifier ses habitudes de consommation » déclare Dr Pelletier.